La Khadrya tire son nom de son fondateur éponyme Abdel Khadir al Djilani, un soufi d'origine irakienne, de réputation mondiale. Cette tarikha a été véhiculée par les descendants et disciples du fondateur et est arrivée jusqu'au Sénégal par l'intermédiaire de la filière maure à travers la famille Kounta et Saad Bouh, à partir de 1750.
Son fondateur
Cette confrérie porte le nom d'Abdel Khadir al-Djilani (1160 correspondant à 555 de l'Hégire, un Irakien. Très tôt, il acquit les rudiments de l'arabe dans son village natal à Naïf au sud de la Mer Caspienne avant d'aller se perfectionner à Bagdad auprès de plusieurs ascètes de diverses écoles : hanbalite, shaféite... et apprit le hadith. Il s'initia également au soufisme auprès du Cheikh Abu al-Khayr Muhammad Ibn Muslim al Abbas mort en 1131
Al Djilani se rendit à la Mecque entre 1095 et 1127. Selon Khadim Mbacké, chercheur à l'IFAN, il aurait eu 49 enfants. Vers 1133, le saint homme construisit un couvent qui, très vite devint célèbre de par la qualité de ses enseignements oraux et écrits. Les principales idées du Cheikh sont rassemblées dans deux ouvrages intitulés Al-Ghunya lî-talîbî al-Haqq qui traite du droit et du soufisme et un autre Al-Fateh qui expose surtout les thèmes de ses prêches. Les recommandations d'Abdel Qadir al Djilani, tournaient autour du renoncement total à la vie mondaine.... Citons quelques enseignements qui sont à la base de sa vision soufie :
« Suivez et ne déviez pas, obéissez sans opposition, observez une patience parfaite et ne vous révoltez pas, attendez sans désespérer, adonnez-vous ensemble au zikr, purifiez-vous définitivement des pêchés et demeurez attachés à votre seigneur
Quant à la conduite que tout croyant doit observer, il dit : « Ne te plains auprès de personne pour le sort qui te frappe par Sa volonté, manifeste plutôt le bien et la reconnaissance. Ne te livre pas entièrement à un être humain quelconque et n'en fait pas un intime ; ne révèle à personne ce qui t'anime (...). Si tu éprouves un sentiment d'amour ou de haine pour quelqu'un, examine ses actes à la lumière du Coran et de la sunna. S'il s'agit d'actes qui y sont déclarés aimables, aime-les, sinon déteste-les pour éviter d'aimer ou de haïr capricieusement. Dieu, Très Haut dit : 'Ne suis pas la passion au point qu'elle te détourne du chemin de Dieu' ... N'abandonnez quelqu'un que pour plaire à Dieu ».
La Khadrya ne s'est répandue dans le monde que des années après la disparition de son illustre éponyme, vers le 13 ème siècle grâce au dynamisme de ses enfants et petits enfants. Ses disciples ont également joué un rôle important dans l'essaimage de la Khadrya dans les pays arabes (Egypte, Yémen, Syrie, Maroc... et dans l'Ouest asiatique et puis progressivement cette tarikha s'est répandue dans beaucoup de pays musulmans à partir du 19 ème siècle.
La Khadrya est arrivée au Maroc (à Fès) grâce à Ibrahim mort en 1196 en Mésopotamie et à Abdel Aziz qui a vécu en Espagne et qui sont l'un et l'autre des descendants de Cheikh Abdel Khadir. Ils avaient fui l'inquisition en Espagne au 15 ème siècle et se sont réfugiés au Maghreb.
Selon certains chercheurs, cette Voie aurait déjà pénétré l'Afrique du Nord bien avant la chute du royaume de Grenade en 1492 puisque des échanges culturels et commerciaux très intenses existaient déjà entre cette région et l'Egypte qui avait déjà adopté cette tarikha peu de temps après sa création. D'ailleurs, la région de l'Afrique du Nord, était une Voie de pénétration vers les lieux saints de l'Islam et à La Mecque, ce wird était pratiqué depuis le 8 éme siècle. Le Maroc, à travers la zawiya de Marrakech, a joué un rôle très important dans la propagation de la Khadrya en Afrique Occidentale principalement en Guinée, au Mali, en Mauritanie et au Sénégal.
Le processus de pénétration de la Khadrya au Sénégal :
la filière maure
Grâce au dynamisme des Maures, cette tarikha s'est implantée au Sénégal et en est devenue la première confrérie à partir de la fin du 18 ème siècle. Deux familles jouèrent un rôle très déterminant dans la vulgarisation de la confrérie. Il s'agit de la famille Kounta et de celle de Muhammad Fadil.
La famille Kounta
C'est au 7 ème siècle, en Mauritanie, sous Sidi Ahmed al Bekkai et son fils Umar, qui font partie des ancêtres des Kounta, que la Khadrya fit son apparition. Malheureusement, les recherches n'ont pas encore permis de connaître l'origine de l'affiliation de cette famille à cette tarikha. Les Kounta sont des nomades arabophones, formant un ensemble de groupes familiaux indépendants et ayant une énorme renommée religieuse. Ils sont très doués dans les affaires et principalement dans les affaires commerciales, ce qui leur a permis de constituer un véritable empire économique, rayonnant dans un espace gigantesque allant de l'Océan Atlantique à l'Aïr, du Maroc à l'Afrique Noire. C'est avec Cheikh Sidi al Mukhtar al Kébir al Kounti (1730-1811 ) qu'on peut parler de structuration de la tarikha en confrérie. Selon ses biographes, c'est dès l'âge de 14 ans, en 1743 , qu'il s'initia à l'enseignement khadiri auprès de Sidi al Ibn Najib, un étranger à la famille Kounta, pendant quatre années. Puis, il vint s'établir dans l'actuelle Mauritanie, à Walata, auprès du tombeau de son ancêtre Sidi Ahmed al Bekhay et plus tard au Tagant débuta sa notoriété.
A partir de 1756, il prit le titre de Cheikh al tarikha al Khadrya, affirmant ainsi sa supériorité sur toutes les autres wirds khadiris existants au Sahara et singulièrement dans les milieux touaregs.
La spécificité de la Khadrya Mukhtariyya ou Bekkaiyya est surtout due à la mobilité de ses chefs qui vivent et dispensent leurs enseignements sous la tente, à la profondeur de la sainteté reconnue à Sidi al Mukhtar dont les visions, les miracles, les enseignements surtout oraux sont orientés vers les connaissances ésotériques. Les enseignements donnés sont aussi d'ordre occulte (sciences des lettres, des rêves...).
L'originalité de la Khadrya Bekkaiyya est due aussi à la récitation d'un ensemble de zikr et de wird, composés par le maître lui-même.
La dernière particularité des Kounta est leur apolitisme. Le pouvoir de baraka ou de malédiction de Sidi el Mokhtar faisait de lui un érudit recherché ou redouté de tout le monde, même de ses pairs. Il est considéré comme un chef suprême et comme étant contre la guerre sainte, le djihad dans sa continuation. Ses successeurs ont continué son œuvre à travers son fils Sidi Muhammad (mort en 1826) et ses deux petits enfants, Sidi al Mukhtar al Saghir (mort en 1847) et Sidi Bekkay (mort en 1865).
Cependant, dès sa disparition, des dissensions se dessinent jusqu'au milieu du 19 éme siècle, date de l'apparition d'El Hadj Omar Tall sur la scène religieuse et politique. La conquête française a également contribué à la déstabilisation des réseaux Kounta.
Deux branches distinctes tentèrent de redonner la vie à la Khadrya mauritanienne. Ces rameaux avaient tous deux été formés par le même maître Sidi al Mukhtar al Bekkay puis ils s'en étaient éloignés. L'étude de l'évolution de ces ramifications de la Khadrya nous permettra de mieux comprendre sa pénétration au Sénégal.
Cheikh Sidiyya al Kabir et sa descendance
La première branche est celle de Cheikh Sidiyya al Kabir, (le grand) (1775-1868). Il est considéré comme le plus instruit de tous les talibés Kounta. Il est un spécialiste du fiqh et du tasawwuf. Il a fait 35 ans d'études supérieures dont 5 avec un disciple de Sidi al Mukhtar, 6 mois avec Sidi al Mukhtar en personne peu de temps avant la mort de ce dernier, puis enfin 13 ans avec Sidi Muhammad, le fils successeur du grand maître. Muni de tous ces bagages intellectuels, de retour chez lui, Cheikh Sidiyya :
« Devient comme un roi parmi eux et personne ne discutait son autorité, sa tribu devient un sanctuaire inviolable comme l'avait été celui des Kounta ».
Indépendamment de son autorité spirituelle, le Cheikh bénéficia également d'une reconnaissance économique et financière très importante (offrandes, haddiyya), d'une autorité basée sur les ressources humaines nationales et internationales venant de la plupart des pays de l'Ouest africains (Sénégal, Guinée Conakry, Mali, Gambie...) et même du Maghreb (Maroc) et d'une autorité judiciaire puisque ses interventions comme arbitre étaient régulièrement sollicitées.
Il était aussi considéré comme un 'faiseur d'émirs', et entretenait des liens étroits avec la plupart des personnalités de son époque comme les sultans du Maroc, les autorités françaises de Saint-Louis du Sénégal et la plupart des chefs du Djihad de l'Afrique de l'Ouest. A sa disparition en 1868 à l'âge de 93 ans, ses successeurs et surtout son petit-fils Baba Ould Cheikh Sidiyya (mort en 1924) et son arrière petit-fils Abdallahi (1892-1964) continuèrent remarquablement son œuvre. D'ailleurs, Cheikh Ahmadou Bamba et son père comptèrent parmi les disciples du père et du petit-fils.
La tarikha au Sénégal
La Khadrya était la voie de la grande majorité des Sénégalais qui croient dans leur intime conviction que l'affiliation à une Voie est obligatoire afin de ne pas être égaré par Satan. On retrouve ce wird chez les Diakhanké, les Soninké, les Mandingue, les Bambara, les Wolofs, les Diola et même chez les Peulhs surtout avant l'avènement d'El Hadj Omar Tall et son fils.
La Khadrya reste encore très active dans la région du fleuve, à Saint-Louis à cause de sa proximité avec la Mauritanie, à Thiès qui est le chef-lieu de la Khadrya Kounta. On y organise avec succès des Gamou annuels. Cette confrérie a également des adeptes à Diourbel, à Louga mais surtout en Casamance à travers les familles khadiris chérifs. D'ailleurs, le neveu de Cheikh Saad Bouh, Cheikh Mahfousse (1855-1919) s'était établi en 1902 à Dar Salam. Ses petits-fils perpétuent son œuvre. Un de ses fils, Shams Eddine Aïdara dit 'Le lion' a eu une renommée internationale. La famille de Bunama Kounta, un descendant des Kounta installé à Sédhiou, continue également la lutte pour la Khadrya mais depuis la mort de ce dernier, la tarikha de la majorité des habitants de Sédhiou perd de plus en plus son prestige.
Dans le même département, un autre marabout, Cheikh Sountou Badji, d'ethnie Diola, beaucoup plus controversé au sein de la Umma Islamique à cause de ses méthodes, de ses démarches, de ses pratiques et du fondement même de son savoir, affirme quant à lui son appartenance à la famille Khadir. Il n'a cependant qu'une assise locale en dépit des efforts de propagande qu'il déploie dans le domaine religieux.
En Casamance, la famille de l'illustre marabout Fodé Kaba Doumbia continue son œuvre.Mais s'il y a une famille khadiri qui grandit jour après jour, année après année, qui, actuellement a supplanté de par son prestige, sa renommée, mais surtout son ascétisme, toutes les familles maraboutiques et confrériques de Casamance, c'est bien celle de Chérif Sidy Ahmadou Aïdara communément appelé Chérif Sidou ou encore Sidou Ahmadou de Sibicouroto.
Chérif Sidou Aïdara de Sibicouroto
L'histoire de cette famille n'est pas encore écrite, elle est pourtant souvent chantée par les griots, véritables bibliothèques vivantes d'Afrique Noire et par les vieux qui ont vécu auprès du Chérif. Beaucoup d'entre eux vivent encore dans le village de Sibicouroto, à Ziguinchor, ou encore à Goudomp.
Sibicouroto est un terme mandingue composé de deux mots : Sibo, qui signifie rônier et couroto qui signifie archipel, un regroupement. Donc cela signifie un bosquet de rôniers. Certains le qualifient de constellation de rôniers. Ce village fut fondé par le chérif, sur indication divine, après plusieurs pérégrinations à travers plusieurs pays. Ce saint village est situé à une vingtaine de kilomètres de Marsassoum, dans le département de Sédhiou.
Sidou Ahmadou était un érudit, un ascète confirmé, très écouté et fort respecté par ses pairs, bien qu'il fut à l'époque le plus jeune marabout soufi parmi les Chérifs qui se battaient pour imposer leur suprématie religieuse et familiale en Casamance. Donc à cause de cette jeunesse et certain de ses capacités ascétiques et intellectuelles, le Chérif était un téméraire qui n'hésitait pas à faire étalage de ses pouvoirs mystiques. Il était redouté.
Son père Moulaye Boubacar Aïdara, souvent appelé Chérif Moulaye Bacar car les Mandingues ont cette fâcheuse manie d'écorcher les noms, son père donc était un métis, descendant de Ali le gendre du Prophète.
Moulaye Bacar est né à Tichit en Mauritanie d'une mère Mauritanienne de peau noire et d'un père maure, dans une famille polygame. Ses demi-frères, non métissés, le supportaient mal, car le jeune chérif, non seulement était métissé, mais de surcroît était très doué.
En butte aux mauvais traitements de ses demi-frères, le jeune Moulaye Bacar décida de s'exiler. Commença alors une série de pérégrinations qui le conduisirent dans le Hodd, au Mali, à Tombouctou, à Nioro du Sahel, au Sénégal dans le Boundou, à Mbour auprès des familles maures déjà installées dans cette localité du Sénégal. Partout où il passait, il poursuivait son instruction, se plaisait à la compagnie des vieux pour profiter de leur savoir. Il se rendit également en Guinée Bissau et fréquenta pendant des années presque toutes les grandes familles religieuses de ce pays, et c'est là qu'il épousa sa première femme, du nom de Aïssatou Mandian également appelée Mandian Mousso (la dame Mandian). Moulaye s'installa ensuite à Dabo en Gambie dans le Niani où naquit son prestigieux fils, Sidy Ahmadou. Paul Marty, dans son étude sur'L'Islam au Sénégal ' esquisse à grands traits l'itinéraire de ce marabout emblématique. Il l'a rencontré à Kéréwane, et le dépeint sous les traits d'un homme instruit, cultivé, vertueux, téméraire et sobre. Il était de mœurs simples, adversaire du protocole.
Il est considéré par tous ceux qui l'ont connu comme un ascète pétri de sainteté. Comme son père, Sidy apprit très tôt le Coran et il ne tarda pas à se distinguer. Auprès des Maures de Mbour , il s'initia aux Sciences fondamentales de l'Islam, comme la théologie, le droit, l'exégèse du Coran, le hadith et le soufisme. Il étudia la langue arabe qu'il écrit, lit et parle couramment. A l'âge de 25 ans, il alla en Mauritanie, auprès de ses aïeux, afin de rejoindre Cheikh Saad Bouh de Boutilimit pour parfaire sa formation et avoir ainsi sa reconnaissance, et se mesurer aux plus grands ascètes africains.
Après plusieurs années de formations, il revint en Casamance et s'établit d'abord dans le Pakao à Sakar durant sept ans, en milieu mandingue, population à laquelle il est lié par le sang à cause de sa mère qui est Mandingue et par la tarikha Khadir. Son influence religieuse se répandit aussi dans les villages environnants de Kéréwane, de Kamakounda, de Kérécounda et jusqu'à Kolda.
Comme une tâche d'huile, d'autres villages du Fogny (peuplés surtout de Diola) l'adoptèrent ; Bonna, Mambigny, Inor, Boumouda et certains villages Baïnouk du Diassing, du Buje, de Bémet et Sinker : Marsassoum, Diao Doumassou, Diaoba, Diao-Santo, Diafar Santo, Farancounda,.... Ensuite, il se rendit en Gambie et y épousa Mariama Gassama, issue d'une grande famille maraboutique, puis il poursuivit ses pérégrinations toujours dans le but de convertir les païens à l'Islam. C'est ainsi qu'il se rendit au Gabou en Guinée et y procéda à de multiples conversions. Du Gabou, Sidy se rendit dans le Woye (Guinée), un secteur sous contrôle du Chérif Mahfousse, un autre Khadir, neveu de Saad Bouh. Celui-ci jugea cette attitude comme une immixtion dans ses affaires intérieures et il réagit en faisant flageller les quatre porteurs de bagages de Sidy à Mansidy.
La bagarre s'ensuivit par talibés interposés. L'affrontement fut si rude qu'il eut de nombreux morts. Sidy sortit grandi et renforcé de cet incident provoqué et amplifié surtout par les disciples maures de Mahfousse qui n'avaient pas toléré l'émergence trop spectaculaire de ce chérif à la peau noire, si intelligent, et faiseur de miracles, vers qui, les foules convergeaient. Le conflit fut porté à Bolama, près de San Domingo, devant le gouverneur de Guinée-Bissau dont l'arbitrage fut sollicité, mais le chef de colonie portugaise préféra se tenir à l'écart d'un conflit d'ordre religieux, surtout que les deux protagonistes avaient tous les deux été formé par Cheikh Saad Bouh et qu'ils étaient tous deux Khadir.
En fait, derrière ce conflit, se cache la volonté de positionnement pour le contrôle des Khadir en Casamance. D'autres incidents de même nature se produisirent, finalement à l'issue de nombreux pourparlers, les protagonistes finirent par se réconcilier.
De retour de Guinée, Sidy après de nouvelles prospectives pour trouver le site idéal, finit par choisir un endroit impénétrable, 'habité par des Djinns' uniquement (selon la tradition orale) au milieu d'un archipel de rôniers ; ce fut le village de Sibicouroto. Là, il s'entoura d'hommes d'érudition confirmée. Comme son demi frère Ibrahima Diaoula connu sous le nom de Bouran, de son gendre Cheikh Kémo Gassama, le jeune frère de sa première épouse, de Ansoumana Seydi et de certaines familles très influentes avec qui il est lié par le sang ou par des liens matrimoniaux : la famille Mandian, Aïdara, Dabo, Mané, Marone,...
Dès son installation à Sibicouroto, des talibés de divers pays et régions du Sénégal affluèrent et la tradition orale s'est plue à comparer cette image de marée humaine au déferlement d'un océan. La ruée vers Sibicouroto, fut telle que les Français, intéressés s'en approchèrent et exigèrent la levée d'impôts. Ils nommèrent Sidou chef de canton.
Mais ce succès ne fit pas que des heureux. Très rapidement, le Chérif fut en butte à de multiples convoitises voire de jalousie. Ses adversaires d'origine maure, commencèrent à répandre des calomnies sur lui. Un conflit très violent opposa de nouveau ses disciples à ceux du Chérif Younouss Aïdara, maure également, installé à Baghère près de Tanaff, à quelques kilomètres de Sibicouroto mais de tarikha différente puisque Chérif Younouss est de confrérie tidiane. Ce conflit fut si âpre qu'en 1909 l'administrateur Brunot dut intervenir à plusieurs reprises en présence de notabilités des deux camps, à Sédhiou, siège de l'administration coloniale pour le cercle de Casamance. Le conflit était finalement réglé, Chérif Younouss, pour prouver sa bonne foi et tempérer le trop grand mysticisme du Chérif adversaire, donna sa fille Fanta Ndiaye Aïdara en mariage à son rival Sidy. De ce mariage naquit en 1905, le talentueux et courageux Chérif Ibrahima, premier Khalife de Chérif Sidou.
Le fondateur de la Khadrya de Sibicouroto s'éteignit en 1942 à plus de 80 ans. Il eut plusieurs enfants dont chérif Ibrahima mort en 1974, Chérif Ismaïla, le bâtisseur qui a fait la plupart de ses études religieuses en Egypte à l'université El Azkar et à Paris, à la Sorbonne, deuxième Khalife disparu en 1989. Deux de ses enfants vivent encore : Mariama connue sous le nom de Diola Aïdara qui s'est installée à Ziguinchor et veille sur les intérêts de la famille et de la tarikha à travers des créations de dahiras et sa jeune sœur Maïmouna, qui porte le nom de 'la fille Djinn' du Chérif qui est célèbre par les 'apparitions' dont elle a été gratifiée à Sibicouroto. Cette cadette de la famille vit en Gambie où elle s'est mariée, elle est aujourd'hui âgée de plus d'une soixantaine d'années.
Actuellement, le Khalife général de Sibicouroto est Chérif Abdou Khadre AÏDARA, fils aîné de Ibrahima, âgé d'environ soixante ans. De taille moyenne, de corpulence assez forte, très chaleureux, universitaire, cet intellectuel est diplômé de la Faculté des Sciences Juridiques de l'université de Dakar. Chérif Abdou a suivi simultanément l'enseignement de l'école laïque et l'instruction arabe et coranique. C'est ainsi que le jeune Chérif bénéficia d'abord de la formation de son père, de ses oncles et des grands talibés de l'entourage de son grand-père Sidou. Le chérif fréquenta ensuite les grandes écoles religieuses de Thiès, de Mbour, de Saint-Louis et de Guinée Conakry auprès de la famille Gassama (Karamba). Il n'a pas hésité après la disparition brutale de son oncle paternel en novembre 1989 à Ziguinchor à démissionner de la Direction de la C.E R.E.E.Q pour prendre en main les destinées de la tarikha et à venir s'installer à Sibicouroto, alors qu'il a grandi en milieu citadin pour ses études.
Dès le début de son khilifat, à l'occasion du Gamou annuel, ce sont des centaines de milliers de personnes et de véhicules qui se mettaient en route vers Sibicouroto
Toutes les régions du Sénégal, ainsi que les pays avoisinants y sont représentés à travers des dahiras. Le Gamou a acquis une renommée internationale. Chaque année, au mois de mai ou juin, les membres des dahiras extérieures envoient des représentants au Gamou, se cotisent et offrent des haddiya et leurs allégeances au Chérif qui en contrepartie, récite des prières pour eux.
Contrairement à certaines turiq khadir, les zikrs ne sont pas rythmés par les tabalas (tam-tam) mais seulement par des claquements de doigts. Le Chérif partage son temps entre Sibicouroto, la Gambie et quelquefois Dakar, il a plusieurs épouses et de nombreux enfants. La plupart de ses épouses lui sont données à son insu : en 'almamy', gratuitement surtout par des gens qui veulent s'agréger à la famille, ou pour lui témoigner allégeance ou reconnaissance, le Chérif ne peut refuser ce genre de mariage. La succession à Sibicouroto se fait par droit d'aînesse entre tous les fils du Khalife fondateur de la Voie d'abord, ensuite viennent les petits enfants, dans le respect des traditions. Il y a une grande entente familiale.